Christian Leclerc, chercheur au CIRAD, nous parle du sorgho.
Est-ce que vous pouvez nous définir en quoi consiste votre domaine de recherche appliqué aux plantes cultivées ?
CL : J’ai une formation d’anthropologiste social, et mes travaux depuis une dizaine d’années cherchent à relier la génétique des populations des plantes cultivées à l’organisation sociale des agriculteurs, en supposant qu’il existe entre les agriculteurs des barrières sociales. Le meilleur exemple est celui des barrières linguistiques. Tout le monde n’échange pas avec tout le monde, ni pour les savoirs ni pour les semences. Or si ces barrières sociales existent, on suppose qu’il y a un effet sur l’organisation de la diversité des plantes aussi.
Concrètement comment cela se traduit-il sur le terrain ? Est-ce que vous pouvez nous faire part d’un exemple marquant ou d’une expérience particulière que vous avez rencontré ?
CL : Oui un exemple d’une étude de terrain qu’on a mené au Kenya, sur le versant Est du Mont Kenya. Les protocoles qu’on élabore et qu’on applique relèvent à proprement parler de l’anthropologie sociale. Nous réalisons l’étude des mariages et des intermariages pour calculer par exemple le taux d’endogamie linguistique, qui est la proportion de mariages conclue entre personnes membres du même groupe linguistique. Une anecdote intéressante qui illustre bien le lien entre anthropologie sociale et diversité des plantes cultivées est que les interdits de mariage qui sont respectés entre les agriculteurs s’appliquent aussi aux échanges de semences. C’est à dire qu’il est interdit d’échanger des semences avec des personnes avec lesquelles il est interdit de se marier.
Et comment s’articulent vos résultats avec la génétique ?
CL : Les études qu’on a menées sur le sorgho au Kenya montrent très bien comment la diversité culturelle des agriculteurs est liée à la diversité génétique des variétés qu’ils cultivent. On a montré, en utilisant le marquage moléculaire, qu’il y avait une organisation, une structure, qui correspondait aux barrières sociales, qui se vérifient du côté anthropologique. On les retrouvait aussi du côté génétique chez les plantes. C’est comme si en miroir, il existait à ce niveau là une organisation sociale des plantes au niveau moléculaire. Si ce type d’étude est aujourd’hui possible, c’est que je suis membre d’une équipe essentiellement composée de biologistes, de généticiens surtout, et que cette interaction et cet apprentissage sont quotidiens ; c’est vraiment important au quotidien d’apprendre mutuellement la manière de voir à la fois les problèmes et les méthodes, afin de les formuler en questions de recherche ensuite et qu’on arrive à définir un langage commun, des méthodes communes, qui puissent faire le pont entre ce qui vient d’être dit : une barrière sociale, c’est une barrière à la migration en termes biologiques. On arrive à formuler dans les deux domaines de compétence, les deux disciplines, les mêmes questions, soit en termes anthropologiques, soit en termes génétiques ou biologiques.